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MODIANO (P.). Rue des Boutiques obscures. Paris, Gallimard, NRF, 1978, in-8°, broché, couverture.

ÉDITION ORIGINALE.

Rue des Boutiques obscures, 6e roman de Patrick Modiano, paraît en 1978 chez Gallimard. L'ouvrage replonge le lecteur dans les années troubles de l'Occupation. Frappé d'amnésie depuis dix ans - l'intrigue se déroule dans les années 1960 - Guy Roland, détective privé, part sur les traces d'un passé oublié. Mais la perte de mémoire se double d'une perte de l'identité. À la question « Qui suis-je ? », posée au cours du roman et clin d'&oeligil à Nadja, le récit d'André Breton qui abordait, lui aussi, un demi-siècle plus tôt, le problème de l'identité - le narrateur répond dès la première ligne : « Je ne suis rien. Rien qu'une silhouette claire, ce soir-là, à la terrasse d'un café. »
Menant d'abord l'enquête dans la capitale, Guy Roland tente de reconstituer le puzzle de sa vie antérieure - celle de l'Occupation et de la traque des Juifs - de Paris à Bora-Bora en passant par Vichy, New York et Rome, bien sûr, rue des Boutiques obscures (Via delle Botteghe Oscure), dans le ghetto juif de la Ville éternelle où s'achève le roman. On croise, sous la plume sobre de Modiano, un émigré russe, une danseuse apatride qui a mis fin à ses jours, un vieux pianiste, tant d'autres encore, qui sont tous les témoins d'une époque lointaine. Freddie Howard de Luz, Oleg de Wrédé, Gay Orlow, Porfirio Rubirosa : le romancier donne libre cours à son génie d'inventer des noms étranges.
Le roman se compose d'une succession de 47 courts chapitres - certains se réduisent à une simple adresse postale ou à un numéro de téléphone, glané sur un Bottin défraîchi et emblématique de l'univers de Modiano. Le parcours du détective est ponctué de fausses pistes, de failles et de noms d'emprunt. Guy Roland, au fond, n'est qu'une succession d'êtres et de chemins qui ne mènent nulle part : jamais le temps perdu ne sera retrouvé. Renouer les fils du passé est une entreprise vaine et vouée à l'échec. Les souvenirs sont peut-être des mirages ; la mémoire, un leurre. Privé d'identité, le héros finit par s'identifier à tous ces fantômes du passé. Il s'invente une vie, en somme - dans un roman mêlant savamment rêve et réalité, qui offre une synthèse éblouissante de tous les livres précédents de Modiano.
Il sera du reste couronné la même année par le prix Goncourt - au 3e tour de scrutin, contre La Vie mode d'emploi de Georges Perec. Il récompense l'écrivain, fait notable, « pour l'ensemble de son &oeliguvre ». Laquelle est, à l'époque, loin d'être achevée puisque trente-six ans et une vingtaine de romans plus tard, le prix Nobel de littérature lui sera attribué par l'Académie de Suède « pour l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ».

Exemplaire du Service de Presse enrichi de ce bel envoi autographe de Modiano à Michel Audiard, éminent dialoguiste du cinéma français :

Patrick Modiano [biffé d'une large croix]
Pour Michel
Cette
Rue des
Boutiques Obscures
Que nous suivons tous les
Deux à la recherche de
l'« Académie Terpsichore »
affectueusement

Patrick Modiano

Dans sa dédicace, Modiano glisse une allusion à « l'Académie Terpsichore ». C'est un clin d'&oeligil, à l'évidence, au poignant roman d'Audiard, La Nuit, le jour et toutes les autres nuits (Denoël, 1978), paru la même année que Rue des Boutiques obscures, où il convoque les fantômes et les lieux du passé, notamment cet établissement portant le nom grec de la muse de la Danse. Une estime littéraire mutuelle lie Modiano et Audiard, tous deux hantés par l'Occupation. Ils travailleront ensemble, toujours en 1978, sur un ambitieux projet d'adaptation cinématographique du célèbre récit de Mesrine, L'Instinct de mort (Lattès, 1977). Faute de producteur, le scénario sur « l'ennemi public n°1 » restera malheureusement dans un tiroir. Unique fruit de leur collaboration, ce texte demeure à ce jour inédit (cf. Catalogue Lardanchet, « De Perec à Houellebecq »).

L'exemplaire est conservé dans une boîte décorée de Julie Nadot.

Dimensions : 217 x 145 mm.

Provenance : Michel Audiard, avec son ex-libris.

Peras (D.), « 1978 : Rue des boutiques obscures par Patrick Modiano », dans L'Express, 1er nov. 2001.

 

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